PAGRAO Dehcho : La surveillance et l’intendance environnemental menées par les communautés autochtones

Contexte

Mike fishing

Il fut un temps, dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.), où la plupart des activités de surveillance de l’environnement étaient réalisées par des organismes gouvernementaux et universitaires. Par exemple, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) a mesuré les poissons, Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) a mesuré l’environnement, et le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles (ENR) des T.N.-O. a surveillé les animaux. Au fil des ans, cette situation a évolué pour que ce soient les gouvernements autochtones qui décident ce qui doit être surveillé, les personnes qui effectuent cette surveillance et la manière dont l’environnement est géré.

Cette histoire concerne le programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques (PAGRAO) appelé Dehcho AAROM (en anglais seulement), qui, dans le cadre de son mandat d’accorder « un plus grand contrôle autochtone des ressources halieutiques et aquatiques dans le cadre du système de gouvernance à chambre unique des Premières Nations du Dehcho » a créé un programme de surveillance communautaire administré au niveau régional dans le Dehcho. Nous espérons que par cette histoire, vous prendrez connaissance de possibilités et d’idées qui pourront vous aider à mettre en place un programme adapté à votre région et à vos préoccupations.

La région de Dehcho est située dans le sud-ouest des Territoires du Nord-Ouest, qui commence dans le Grand Lac des Esclaves et suit le puissant fleuve Mackenzie (Dehcho) jusqu’à Wrigley (Pedzehkie). Cette terre est habitée par des Dénés qui parlent le zhatie déné. À ce jour, le PAGRAO du Dehcho se retrouve dans neuf communautés. Le programme a été créé à l’aide de fonds provenant de deux programmes pour les Autochtones du ministère des Pêches et des Océans : le Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques et le programme de stratégie relative aux pêches autochtones. Ces deux programmes sont fondés sur des propositions et s’appliquent aux régions qui n’ont pas de revendication territoriale avec le gouvernement du Canada ou qui sont en négociation pour en avoir. Combinées, ces sources de financement peuvent constituer une source fiable de financement de base. Ce financement de base est essentiel au succès de tout programme de surveillance communautaire, car il fournit des ressources pour les salaires des gardiens, les équipements comme le carburant, l’huile et l’épicerie, les immobilisations comme les bateaux et les motoneiges, ainsi que la formation et les réunions pour assurer une contribution constante des communautés et la présentation de toutes les données ou de tous les projets. Le financement de base peut ensuite être complété par des propositions plus modestes, comme le Programme de surveillance du climat dans les collectivités autochtones de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada pour des projets particuliers. Le PAGRAO du Dehcho s’appuie sur plusieurs accords de financement supplémentaires avec le gouvernement territorial, le gouvernement fédéral, des universités et des ONG pour des projets précis qui comprennent des projets de recherche, des ateliers et des rassemblements, des camps de jeunes/culture/écologie et des initiatives de formation.

 

Lorsque le financement de base a été assuré, le PAGRAO du Dehcho a embauché un coordonnateur de programme-biologiste et un technicien pour gérer l’équipement, la formation et l’aide sur le terrain pour chaque programme communautaire des gardiens. Nous avons ensuite passé du temps à nous rendre dans chaque communauté pour voir quelles étaient leurs préoccupations concernant l’eau et quelle surveillance elle souhaitait appliquer. Après la consultation de la communauté, il a été déterminé que les communautés souhaitaient avoir des personnes (gardiens) sur le terrain (eau) pour surveiller les activités (p. ex. observation de la faune, pêche récréative et tourisme) et la qualité de l’eau. Même si l’eau du Dehcho est très propre, les gens hésitent encore à la boire et s’inquiètent des effets de la pollution et du développement en amont.

Après consultation des communautés du Dehcho, il a été déterminé que les fonds seraient dépensés pour équiper chaque Première Nation d’un bateau de pêche Lund en aluminium de 18 pieds avec un moteur hors-bord de 60 CV et pour embaucher deux employés permanents saisonniers qui deviendraient les gardiens du Dehcho. En fonction des fonds disponibles, ces gardiens recevraient également un programme normalisé de formations comprenant un cours de surveillance environnementale BEAHR de cinq semaines, des certificats de formation de conducteur de petits bâtiments (CFCPB) et de fonctions d’urgence en mer (FUM A3), un cours de premiers soins en milieu sauvage, un certificat d’opérateur radio et un cours de sensibilisation aux ours. Non seulement ces cours les qualifieraient pour travailler en tant que gardiens du Dehcho sur l’eau, mais ils possèderaient également les qualifications nécessaires pour effectuer la surveillance des travaux pétroliers et gaziers et toute autre initiative de recherche dans la région, fournissant ainsi une forme continue de communication avec chaque Première Nation.

Outre la formation et l’équipement, il fallait fixer des objectifs aux gardiens en fonction des préoccupations et des problèmes de leur communauté. Chaque communauté est différente, mais le cœur du programme repose sur la patrouille fluviale. Chaque jour, les gardiens parcourent un itinéraire déterminé sur leur bassin versant local et des questionnaires sont préparés pour qu’ils les remplissent à chaque voyage. Les principaux relevés enregistrent le nombre d’oiseaux, la faune et toute activité présente, comme la pêche récréative, les barques et les touristes, ainsi que la qualité de l’eau des affluents du fleuve Mackenzie ou des lacs situés dans la zone traditionnelle. Les données recueillies sont ensuite analysées et font l’objet d’une présentation annuelle à chaque communauté, puis sont stockées dans le bureau du PAGRAO du Dehcho. Une base de données a été créée pour archiver toutes ces informations. L’étude de cas de Sambaa K’e et son développement du programme des gardiens du Dehcho montre les étapes nécessaires et les possibilités offertes par ce type d’initiative.

 

Partenariats

Lorsque le programme des gardiens du Dehcho a disposé de l’équipement et des employés nécessaires pour mener à bien les programmes de surveillance, il a fallu mettre en place des collaborations avec des organisations externes pour accroître les possibilités de financement et les capacités. Deux exemples de collaborations positives formées avec le PAGRAO du Dehcho comprennent une initiative de recherche avec un professeur de l’Université de Waterloo et une autre avec le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.

Grâce aux travaux antérieurs des Gardiens du Dehcho sur la surveillance des poissons, il a été possible de déterminer que certains lacs contenaient des poissons présentant des niveaux élevés de mercure, ce qui inquiète de nombreuses communautés dont l’alimentation est essentiellement composée de poisson. Les membres de la communauté voulaient savoir ce qui causait ces différences et le PAGRAO du Dehcho a commencé à chercher comment aborder cette tâche. Grâce à des conversations avec d’autres personnes travaillant dans le domaine de la recherche sur les pêches, le PAGRAO du Dehcho a été mis en contact avec une chercheuse nommée Heidi Swanson (en anglais seulement) qui travaille à l’Université de Waterloo et possède une grande expérience du travail dans les communautés autochtones du Nord. Lorsque l’on forme ce type de partenariat avec des chercheurs, il est important de s’assurer qu’ils ont les mêmes objectifs que la Première Nation et qu’ils sont désireux de travailler avec les gardiens, c’est-à-dire qu’ils ne se contentent pas de faire venir des étudiants universitaires de l’extérieur. Une fois le partenariat formé avec la Dre Swanson et l’Université, le PAGRAO du Dehcho a été approché pour utiliser les gardiens pour d’autres projets et recevoir des fonds provenant d’autres sources. Le PAGRAO du Dehcho a présenté des propositions au Programme de surveillance des effets cumulatifs des T.N.-O. et au Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord du gouvernement du Canada. Le financement de ces programmes a servi à mettre en place une initiative de recherche sur le mercure dans le poisson, à payer les salaires des gardiens et à financer des déplacements. Chaque année, la Dre Swanson venait et travaillait avec les gardiens exclusivement dans plusieurs communautés pour collecter des données sur des lacs choisis. Ces travaux ont débouché sur des recherches de renommée mondiale, des articles de journaux évalués par des pairs et des renseignements utiles aux décideurs. Plus important encore, ce travail a donné lieu à de nouvelles possibilités de financement.

Le partenariat établit avec la division de la Gestion des eaux du Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est un autre exemple de partenariat ayant permis à la fois d’élever le statut du PAGRAO du Dehcho et du programme des gardiens ainsi que d’accroître les capacités par la formation et le financement. Le PAGRAO du Dehcho a demandé de l’aide pour surveiller la qualité de l’eau du fleuve Mackenzie et d’autres bassins hydrographiques locaux, ainsi que la contamination par les aménagements en amont. Dans le cadre de la stratégie de gestion et suivi de l’eau du gouvernement des T.N.-O. (en anglais seulement) et grâce à la formation des gardiens, un financement a été accordé au PAGRAO du Dehcho pour qu’il effectue la surveillance communautaire de la qualité de l’eau dans la région du Dehcho, alors qu’elle était la seule organisation à le faire à l’époque. Le ministère de l’Environnement et Ressources naturelles du Gouvernement des T.N.-O. s’est engagé à fournir la formation et l’équipement nécessaires aux gardiens pour déployer correctement les instruments et collecter des données sur la qualité de l’eau et les contaminants. Ces données doivent ensuite saisies dans un site ouvert appelé DataStream Mackenzie, auquel toutes les communautés ont accès en tout temps. Grâce à ce partenariat, les gardiens du Dehcho ont également reçu des fonds pour leurs déplacements, ce qui est essentiel lorsqu’on a affaire à de multiples communautés, car une implication et une communication constantes sont la clé du succès.

 

Gestion des données

Une fois qu’un programme dispose d’un financement de base, d’un financement complémentaire et de partenariats, il est temps de commencer à accroître sa capacité par d’autres moyens. Tous les programmes des gardiens collectent des données et des observations. La grande difficulté pour ces programmes est le stockage et l’accessibilité de ces informations pour la prise de décision. Le PAGRAO du Dehcho et le programme des gardiens ont été approchés par une ONG pour recevoir un financement qui servirait à créer une base de données en ligne permettant à chaque communauté d’accéder à ses données. Un contrat a été conclu avec un spécialiste informatique externe (RedCloud Technologies) ayant de l’expérience du travail avec les Premières Nations et, après une mobilisation continue, il a été décidé que ce spécialiste créerait une base de données infonuagique possédant une sécurité suffisante et un accès par mot de passe pour chaque communauté distincte. Désormais, chaque Première Nation peut accéder à tout moment à ses informations recueillies par les gardiens. Une fois cette base de données mise en place, il devenait désormais possible de faire de nouveaux progrès en ajoutant d’autres composants. Les ajouts comprennent la possibilité de saisir des observations et des données sur des tablettes et de faire en sorte que les informations saisies soient automatiquement téléchargées dans la base de données. Pour en savoir plus, consultez l’étude de cas ci-après.

Occasions et avantages

Les travaux précédents se sont déroulés sur une période de près de 15 ans, mais une fois que le programme des gardiens du Dehcho a gagné en capacité, d’autres occasions se sont présentées. L’une d’entre elles est le Programme de surveillance du climat dans les collectivités autochtones sous l’égide de RCAANC. Le PAGRAO du Dehcho et le programme des gardiens du Dehcho ont été approuvés pour un financement de 3 ans qui augmente encore leurs capacités. Les fonds ont été utilisés pour la réalisation de trois objectifs, à savoir 1) l’élaboration d’un plan régional de surveillance des changements climatiques; 2) l’élaboration d’un contenu éducatif axé sur les changements climatiques pour les camps d’écologie pour les jeunes; et 3) l’achat de stations météorologiques et surveillance de la température des lacs et l’écoulement du pergélisol.

La création d’un programme efficace de surveillance dans la communauté est un long processus, mais les avantages en valent la peine. Il s’agit notamment de nombreux avantages socio-économiques, du maintien de la culture et de la langue, de la présence de personnes sur la terre et du fait d’être les yeux et les oreilles — les gardiens — de la terre.

Vous trouverez ci-après un certain nombre de ressources qui peuvent être utiles pour mettre en place une initiative de surveillance communautaire, notamment des études de cas et des vidéos sur la gestion des données et l’équipement, la surveillance de la qualité de l’eau et la surveillance du ruissellement sur le pergélisol.

Conseils pratiques

Bonnes pratiques sur le terrain par les gardiens du PAGRAO du Dehcho

  • Tenez toujours compte de la météo dans votre planification
  • Ayez toujours tout en surplus
  • Ne laissez pas l’équipement sur le terrain trop tard, il ne survivra pas à l’hiver
  • N’oubliez pas la chaîne sur vos bouées d’instruments
  • Expédiez toujours les échantillons avec des cryosacs et transportez toujours des cryosacs
  • Incluez les jeunes dans tout
  • Ayez toujours des crayons et des marqueurs permanents
  • Emportez des piles supplémentaires
  • La sécurité avant tout — vêtements appropriés, gilets de sauvetage, formation et expérience
  • Remplissez toujours les grilles de terrain sur le lieu de l’échantillonnage et enregistrez tout
  • Tous les conducteurs de bateaux devraient avoir une formation FUM A3 et CFCPB
  • Les chercheurs peuvent s’avérer de bons partenaires et analyser les données